Temps suspendu est le nom que j'ai choisi pour mon exposition à la galerie Samagra. Elle présente deux cycles qui se succèdent, assez opposés dans l’ambiance, différents dans la tonalité et les couleurs, mais chacun évoque la notion de temporalité et renvoie à la capture d’images instantanées.
Dans le premier cycle, il s'agit d’images et de visions qui traduisent un vécu au plus profond de moi-même. Il correspond à la période initiale du Covid, lorsque le confinement m'a donné l'occasion de tourner mon regard vers l’intérieur et rester quelque temps à l’écoute de moi-même. J'ai cherché à recréer ces moments de repli sur soi, de retrait, quand la perception du monde devient totalement subjective. Durant cette période déroutante, isolée dans mon atelier non loin de la maison de Monet, à Giverny, en bord de Seine, j'ai longuement contemplé l'eau se refléter dans les feuilles des arbres le long de la rivière, se transformant en lumière scintillante et vibrante. C'était le moment de la transition saisonnière hiver - printemps. L'explosion avec laquelle la nature s'éveillait, me remplissait d'excitation joyeuse et d'émerveillement. État qui contrastait fortement avec le sentiment de malaise qu'évoquait la situation sanitaire mondiale - mon angoisse quant à un avenir plein d'inconnu et d'incertitude. L'isolement s'est avéré créatif, les mots du poète américain Henry David Thoreau résonnaient dans mes pensées : "... ce n'est que lorsque vous perdez le monde que vous commencez à vous trouver, à vous situer dans l'infinie richesse de vos relations avec les gens...".
Essaouira, la ville des vents, comme on l'appelle au Maroc, constitue le deuxième cycle de peintures. Le désir impétueux d’évasion et les paysages momentanément capturés m'ont entraînée à l'extérieur, vers les sensations procurées par le soleil, le vent et la nature. Ma perception du monde a changé de direction, j’étais sous l’emprise d’un sentiment extraverti. Le soleil aveuglant faisait ressortir des couleurs vives et des contrastes forts que je voyais partout : entre la chaleur du sable et la fraîcheur de l'Atlantique, entre la fureur du vent et les vagues de l’après-midi, le calme des eaux lisses et paisibles au coucher du soleil. Et les ombres, pourchassées par le vent impétueux, s'animent et prennent leur envol...
Nous ne sommes ici que de passage, pleinement conscients de la chance de pouvoir saisir cet instant si précieux de la Vie.
Rada Tzankova